Carnet d'expédition

A pied d'oeuvre

Jeudi 28 Juillet
8h30, 8°C.
Le campement entouré d'un tapis d'épilobes aux couleurs mauves se compose de 5 tentes. Des traces de lynx sont visibles sur le lœss de la moraine et une dépouille de caribou à moitié dévorée gît sur le bord du lac. Pour le ravitaillement, un gallon et demi d'essence a été monté ainsi qu'une semaine de nourriture.
Le moral des troupes est au plus bas. La fatigue des jours de portage se ressent, aussi nous décidons d'une journée de repos pour soigner notamment les pieds.
Une cordée de quatre décide cependant une reconnaissance vers le col Ouest qui domine notre campement. Il s'agit de gravir un col en suivant un torrent qui serpente sur des dalles entre de gros blocs. Cela mène à un névé puis à un plateau que l'on devine sur la carte. On accède alors à un glacier qu'il faut traverser, puis une pente neigeuse mène juste sous un sommet. La partie terminale se passe en rocher classique, peu difficile.
Deux sommets seront gravis, respectivement un 2287m vers 10h30, puis un 2340m vers 12h15. En altitude la neige est lourde, mouillée, on s'enfonce. La trace est pénible à faire, mais il n'y a pas de coulée : la sous- couche est assez stable.Les 4 alpinistes sont accueillis au 2ème sommet par l'orage : grêle et neige sont de la partie, et c'est le sauve-qui-peut à la descente.
20h30, 13°C. Au camp, l'altimètre joue au yoyo, il monte à 1560m.

Vendredi 29 Juillet
A 9h15, 11°C, et 1590m.
Il a plu toute la nuit et il pleut encore ce matin. Un rayon de soleil passe vers 14h, puis il tombe de la grêle. Vers 17h certains montent sur le verrou, d'autres partent reconnaître le lac. Il faut 2h pour en faire le tour.
Après un bon feu, coucher vers 22h30, 7°C, 1590m stable. Il y a beaucoup de vent en altitude, les nuages sont très rapides.

Samedi 30 Juillet
9h, 6°C, il pleut, et le baromètre descend encore (1600m).
Au col nous organisons une corvée de bois pour alimenter le feu. Des grosses racines et des branches de résineux nous permettront d'économiser l'essence des réchauds.
Ici l'eau est limoneuse, cela n'est pas gênant, elle n'a pas de goût particulier, sa teinte est blanchâtre.
Dans les moments d'attente, nous apprécions beaucoup la nourriture et les jeux. Là on note les bons choix : l'un a apporté de la crème pâtissière, un autre des croûtons de pain grillé (délicieux dans la soupe et légers dans le sac), du beurre demi- sel, des céréales aux fruits, du rhum…
Nous nous sommes mal concertés, tous les jeux de cartes sont restés au camp de la mine! Une mémorable partie de bataille navale entre tentes, un jeu de whist improvisé avec des cartes fabriquées depuis un carnet de notes, la lecture de livres montés chèrement à dos d'homme, telles sont les occupations que chacun organise.
Vers 21h, le baromètre remonte (1570m), 8°C.

Dimanche 31 Juillet
9h, 9°C, 1560m, assez beau temps.
Départ à 11H avec l'équipement de montagne au complet : nous longeons le lac (2km en 1h), puis c'est le glacier, encore 1h30 sur de la glace bulbeuse. Au pied d'un imposant sérac, nous prenons à main droite une goulotte qui permet de sortir au-dessus des grosses crevasses. Puis un mur de neige nous facilite l'accès au bord d'un plateau menant au col Est du Keele Peak. La neige est lourde, les crevasses recouvertes.
A 15h30, déjeuner rapide sur un rocher au pied du sommet. Le sommet du Keele Peak est à 500 m au dessus de nos têtes. La face Est, abrupte, est en rocher vertical recouvert de neige et de plaques de glace. Impossible de l'atteindre par cette voie. Le panorama à l'Ouest est très alpin.
La température chute brutalement, en peu de temps le ciel devient très noir ; il commence à neiger. Le vent forcit, nous quittons le col rapidement vers 16h, dans un brouillard neigeux. Au niveau de la goulotte, grand beau temps! Ces sautes d'humeur météorologiques sont rageantes!
Une école de glace est installée par Gilles au pied du sérac, et sera l'occasion pour Samuel de simuler une sortie de crevasse avec des nœuds auto-bloquants.
Retour au camp vers 20h. Téléphone à Siphuon à 21h30. Ils ont pêché un saumon King aujourd'hui et nous préparent la moitié fumée pour notre retour. Chez eux cela va bien, ils ont eu aussi de la pluie. Nous prenons rendez-vous jeudi, entre 21h et 21h30.
Dodo à 22h, l'altimètre marque 1550m.

Lundi 1er Août
Lever à 4h du matin, gelée blanche sur le sol. Le ciel est clair avec une belle lune. Nous partons à 5h15 par la cascade à gauche du lac, puis nous traversons le névé qui mène à un glacier. L'idée : reconnaître la partie Ouest du Keele Peak.
Belle balade en altitude. Au troisième col, nous sommes trop hauts : un mur couvert de rochers instables nous barre le chemin. Les avis divergent, et finalement nous contournons l'obstacle en passant par un grand détour au Sud. Nous avons perdu 1h30 à trouver un passage sécurisé, il est alors11h.
Arrivé au col, je décide qu'il est trop tard pour pousser jusqu'au pied du Keele Peak. La neige devient trop molle et le temps commence à changer. Gilles et Christine tentent d'approcher le sommet tandis que le reste de l'équipe retourne au campement après avoir déjeuné au col. Ils atteindront le pied du Keele Peak après une marche d'approche assez fastidieuse dans une neige tourmentée par le vent ressemblant à des vagues et enfonçant. L'orage ne leur laissera que le temps de se mettre à l'abri, puis de passer un col à l'Est du Keele Peak pour redescendre dans la vallée. Derrière le col, ils repèreront un lieu de camp bien abrité dans les rochers qui pourra servir de poste d'avant-garde pour attaquer le sommet.
Nous rentrons par une descente directe sur le lac en suivant un glacier très raide et un torrent. Une forte grêle puis la pluie nous rattraperont en chemin. Nous serons au camp à 15h30, et la seconde équipe vers 17h, après avoir subi 4h de mauvais temps.
Nous attendons de voir la météo demain matin pour décider de rentrer ou non au camp de la moraine. La nourriture est mise en commun, car il manque un peu de tout dans chaque tente.
Vers 18h, deux beaux caribous sont venus nous regarder à 100m. C'est un mâle orné de beaux bois accompagné d'une femelle.
Coucher à 20h30, 1530m et 10°C.

Mardi 2 Août
8h du matin, 1510m, grand beau temps.
Il a dû geler cette nuit, nous avons dû fermer les duvets sarcophages au maximum pour ne pas avoir froid. Le temps se couvre vers 11h, petite pluie vers 16h.
Vers 13h15, départ d'une cordée de 5 alpinistes avec 2 tentes. Le but est de monter au camp repéré la veille, sur neige au pied du sommet (coté Ouest sous un col) afin d'attendre le beau temps pour le gravir. L'idée est bonne, mais le temps ne s'y prête pas.
A 17h grosse pluie, 22h : 1490m et encore grosse pluie… La pression monte mais le temps se dégrade.
En observant les nuages on s'aperçoit que le verrou où nous sommes est un site particulier.
C'est ici que se forme le centre des nuages qui tournent alors autour de nous. En une heure, d'un ciel dégagé, sortent de gros nuages qui tourbillonnent rapidement. Nous avons alors la sensation d'un froid humide qui monte, nous avons besoin de mettre une doudoune d'hiver quand le soleil se cache.

Mercredi 3 Août
Retour de la cordée à 8h du matin.
Ils étaient partis la veille, dans un temps incertain mais plutôt riant : le montage du camp s'était fait sous un beau soleil, la préparation du repas dans les rochers s'avérait agréable : aux premières louchées (car il s'agit toujours de soupe ou de purée), le ciel s'est assombri d'une manière inquiétante : en un instant, c'est la débandade, tous aux abris alors que la pluie et la grêle se déchaînent. Le vent soufflera fortement et il neigera dans la nuit. La nuit a été très froide, le thermomètre est descendu en dessous de zéro.
Notre dernière chance de gravir le dernier tronçon du Keele Peak vient de passer : ce sera pour une prochaine expédition... Le groupe redescend, dépité, sous un ciel sombre et menaçant.
Nous arrivons tous ensemble au camp de la morène vers 10h30 avec tout le chargement, soit un gros sac allégé car nous n'avons pratiquement plus de nourriture. Cependant le matériel reste encore lourd. Le soleil est de retour, faisant rager les plus téméraires !
Arrivée vers 13h30 après une grande pause pour déguster des myrtilles. Nous récupérons des vivres au camp de la moraine, déjeunons, et passons tout le matériel de l'autre côté de la rivière. Bien qu'il ait plu toute la semaine, le niveau d'eau n'a pas changé. Il est possible que la baisse des températures que nous avons constatée (-5°C) en altitude ait ralenti la fonte des neiges.
Une trouée dans les taillis avec des traces de campement de chevaux fera l'affaire pour poser les tentes vers 15h. Avec Antoine, je pars en reconnaissance en suivant les traces de sabots. Elles mènent au Sud, vers le col du Macmillan, par une vallée que nous ne connaissons pas. Il y a beaucoup de traces de caribous sur le chemin.
De retour vers 17h30, nous avons la certitude que ce mini chemin est un passage praticable pour retourner au camp de la mine. Sylvain a trouvé un vieux mors de harnais de cheval près du feu. Le temps est complètement couvert, et une légère pluie intermittente mouille le peu d'affaires encore sèches qui nous reste.
A 20h45 il fait 10°C, l'altimètre indique 1260m.